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25ème printemps des poètes sous le signe de la "grâce"

Publié le 20/03/2024
Cette année, le Printemps des poètes est consacré à la “grâce”, thème riche de sens car il fait écho notamment à la grâce sensible (la beauté d’une personne, la joie) mais aussi à la grâce divine, la grâce sensuelle, la demande de grâce ou encore la gratitude éprouvée.

Ces multiples polysémies sont explorées dans deux publications en partenariat avec le Printemps des poètes : “Grâce… Livre des heures poétiques” (éditions Bruno Doucey) et “Ces instants de grâce dans l’éternité” (éditions Le Castor Astral). Si la première anthologie décline douze états de la grâce mis en mots par 118 poètes contemporains du monde entier, la seconde présente un panorama de la poésie francophone actuelle à travers 116 voix qui proposent autant de visions en grande partie inédites de “la grâce”. 


Quand la poétesse allemande Else Lasker-Schüler (1869-1945) évoque la sensualité de l’amour, son inspiration relève aussi du sacré, si bien qu’elle semble parler autant d’un amant que de la grâce divine qui en émane : 


“D’un souffle d’or

Les cieux nous créèrent.

Ô comme nous nous aimons…


Derrière ces mille baisers

Ce sont toujours tes lèvres que je cherche.”


Dans son “Chant nuptial”, la poétesse bordelaise Laurence Lépine irradie le feu chamanique des premiers temps, invente  l’homme-soin, la femme-forêt, pose le pied sur la terre ancestrale remplie de hordes de loups, de serpents, de cerfs, de poissons, dans une langue étincelante, parseméé d’éclats :


“Les grâces imposaient

leurs tentations

branches délicates d'une sphère

un écrin précis et soyeux comme l'impasse

la ration pure du sommeil”


Autre voix contemporaine révélée récemment, récompensée par le prix Goncourt de la poésie en 2023, Laura Vasquez fait résonner l’étrangeté de sa langue et de son univers. Avec déjà deux recueils à son actif “Vous êtes de moins en moins réels” et “Le livre du large et du long” elle invoque et convoque tout à la fois les éléments, le ciel, les morts, les animaux, les temps, dans une singulière litanie d’inventions stylistiques. 


“La nuit je caressais les portes du voisinage


Une surface lisse


Parfaitement fermée


Une compréhension complète


La forme de la somme


Le grand visage général


Le livre du large et du long


Un air d’obéissance à la nature


Un fracas terrible près d’un petit ruisseau


Une personne déchirée par des oiseaux de proie


La troupe muette des poissons


Le vent se lève les flots se brisent


Le lien entre l’effort et le poids


Le sentiment de l’ignorance


La peur inverse la personne”



 Rim Battal, dans “De rien bébé” issu du recueil “x et excès”, n’hésite pas également  à bousculer la langue, quitte à réinventer son propre “cadre” : 


“Et quand le désir bourdonnera plus fort que l’orgueil,

plus fort que le seum, plus fort que la peur, nous enjamberons

ensemble les barrières Vauban avec une grâce de caniche,

un panache de déesse antique, le sans-gêne de Zeus

Qui n’est pas l’apanage de Zeus. Nous pèserons nos larmes

pour leur montrer qu’aucune bombe ne nous arrêtera jamais,

hihi”



Dans “et vos corps seront caillasses”, la poétesse et slameuse Joëlle Sambi exprime sa rage dans des textes féministes, humanistes et universels notamment quand elle s’adresse à sa soeur de luttes qui a montré la voie, la poétesse américaine Audre Lorde : 


“Tu fossoyeuse patiente, tu pyromane ardente. Tu nommes, tu viscères - à l’air de préférence -, tu tranches, tu tonnes, tu déranges, tu saccages, tout, absolument tout.”



Usant d’une langue plus classique, François Cheng, dans “Suite orphique”, compose 99 quatrains qui rendent hommage à ses racines chinoises et à la figure du premier poète occidental, Orphée. A travers ce mythe antique de l’inspiration divine, le poète semble transcender notre humaine condition : 


“ N’oublions pas nos morts ni notre propre mort ;

C’est le devoir-mourir qui nous pousse vers l’élan.

De l’indicible au chant, notre voix est orphique,

Transmuant les absents en d’ardentes présences.”



Dans “Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants”, Charlotte Delbo (1913-1985) donne à lire des poèmes déchirants qui font suite à son retour de déportation mais qui ont été publiés plusieurs décennies après. Elle y confesse la difficulté voire l’impossibilité de dire, de survivre, de réapprendre, de donner à imaginer l’horreur vécue dans les camps tout en rendant grâce à ce fil fragile qu’est l’existence : 


“Ce poète qui nous avait promis des roses

Il y aurait des roses

sur notre chemin

 quand nous reviendrions

avait-il dit.

(...)

Les poètes voient au-delà des choses

et celui-ci avait double vue

si de roses

il n’y a pas eu

c’est que nous ne sommes pas revenus (...)”




Zéno Bianu rappelle quant à lui les vers du maître japonais Issa, un des “anges récidivistes” de sa galaxie :  “vivre est une grâce, même si nous demeurons les passants d’un monde qui souffre / sous / un manteau de fleurs.” Composant des haïkus à son tour, le poète fait également pulser les mots pour en extraire l’énergie et la “beauté violente” du monde : 


“je te dis ma fatigue lumineuse

tout ce qui me consume

en orties de grâce

(...)

ce qui cogne à mes tempes

et me palpite

c’est le murmure de ta nuit.”  (Les anges récidivistes)


Terminons ce dossier poétique par le dernier recueil de Christian Bobin, écrit sur son lit d’hôpital et paru à titre posthume Le murmure. Petites proses où l’on entend la musique, le piano, Bach, où l’on voit s’envoler sur le clavier les mains de Soukourov, les bribes de l’enfance, les livres qui ont accompagné la vie. Et, comme un dernier souffle, le murmure s’éloigne, s’éteint.


“Demain, ne m’apporte pas de fleurs. Je ne veux pas qu’elles soient tristes”.


“Moi-même, qui comme un nouveau-né ne suis que regard, j’ai force et grâce de donner en écrivant ce regard que je cherche partout”.


“Mon chant sera court. La fin du monde va vite”.


“C’est la beauté de la vie qui s’en va et c’est très beau”.


“Je suis au bout du langage”.

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