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Exploration du Paysage Poétique

Publié le 26/03/2024
Plongeons dans l'univers captivant de la poésie française contemporaine, où se mêlent l'évolution du marché, l'émergence de collections novatrices et l'exploration des nouvelles voix qui se font entendre. Entre réflexions sur son statut de niche, son engagement sociétal, et l'adaptation aux nouveaux supports, découvrons comment la poésie se réinvente pour captiver et inspirer un public toujours plus diversifié.

Retrouvez l'intégralité de l'argumentaire 👉 ici


 
La poésie contemporaine s’offre depuis quelques années un renouveau que ce soit dans l’actualité éditoriale ou dans sa forme poétique. En effet, l’émergence de nouvelles collections, maisons d’édition ainsi que de nouveaux auteurs laisse à penser que ce genre littéraire, souvent mis sur un piédestal et réservé aux grands auteurs classiques, est entré dans une nouvelle dynamique.
Depuis 2014, le milieu de la poésie contemporaine se réveille, des nouveaux auteurs sortent de l’ombre comme Rupi Kaur, Cécile Coulon, Souleymane Diamanka ou encore Hélène Dorion… puis, à partir de 2020, un second rebond dans le milieu éditorial poétique avec l’arrivée sur le marché de nouvelles collections comme l’Iconopop (chez l’Iconoclaste), poche poésie (chez le Castor Astral) ou encore Points Poésie qui s’offre un nouveau départ en 2021 en nommant à sa tête Alain Mabanckou (auteur franco-congolais aux multiples récompenses). Au-delà de ces nouvelles collections qui se créent au sein de maisons d’éditions déjà implantées, on constate également l’apparition de nouveaux éditeurs tels que Bruno Doucey créé en 2010 ou encore La boucherie littéraire créé en 2015.

Au vu de toutes ces actualités liées au renouveau du marché de la poésie en France, on peut se demander si la poésie n’est toujours qu’un secteur de niche. En effet, bien que les poètes classiques soient encore aujourd’hui fortement associés au milieu scolaire ou aux Pléiades, les nouveaux poètes contemporains attirent un public de plus en plus conséquent, que ce soit en librairie via les nouvelles parutions ou sur de nouveaux supports de diffusion tels que les réseaux sociaux.
De plus, la figure même du poète tel qu’on se l’est toujours représenté: auteur classique, qui écrit en vers et surtout, qui est mort, laisse place petit à petit à une nouvelle génération d’auteurs bien vivants cette fois-ci, qui sont publiés voire récompensés bien avant leur décès.
Dans Itinéraire d’un naufragé, un recueil qui regroupe toutes les chansons de Hubert Félix Thiéfaine publié chez Points Poésie en octobre 2023, on retrouve dans son interview qui précède le recueil le contraste entre l’image qu’a Thiéffaine d’un Poète et ce qu’est réellement un poète aujourd’hui dans notre ère contemporaine.

-Point Poésie, Itinéraire d’un naufragé, H.F Thiéfaine

Je me souviens qu’à la fin de l’un de mes premiers concerts, des lycéens sont venus me voir et m’ont lâché comme ça : “t’es Rimbaud !” Évidemment, je ne me suis jamais pris pour Rimbaud et j’ai toujours cherché à éviter ce genre de comparaison, mais une chose très étrange s’est produite ce jour-là, c’est resté gravé quelque part. Aujourd’hui je peux dire que l’on ne m’a jamais fait de plus beaux compliments. [...]
Je n’ai jamais voulu être poète. Jacques Brel le refusait aussi. En France, ce mot a une charge très lourde, ou bien est-ce simplement la charge que j’y mets moi. Aux Etats-Unis par exemple, il est moins écrasant et prétentieux ; toute personne qui écrit une chanson est qualifiée de poète. J’ai enregistré Fragments d’hébétude à Los Angeles, et alors qu’on travaillait sur “Juste une valse noire” quelqu’un m’a dit que j’étais poète. Ce qui voulait simplement dire qu’il avait bien aimé ma chanson !

Cet extrait nous montre bien l’évolution qui se joue actuellement dans le milieu de la poésie : l’image du grand poète classique et inaccessible est remplacée par ces hommes et femmes issus de différents / nouveaux milieux culturels (pour cet exemple, la musique) qui créent du “beau” avec des mots. C’était d’ailleurs l’objectif principal d’Alain Mabanckou, qui a repris la direction de la collection Points Poésie et qui dit “Points Poésie est le lieu de convergence des voix venues des quatres coins du monde, débutantes, majeures ou classiques, toutes alimentées par l’audace de réinventer par la puissance de la poésie sous toutes ses formes ce que nous avons perdu de plus précieux : le Rêve et le pouvoir de l’imaginaire”.
Le grand public n’est peut être pas tout à fait prêt à abandonner l’image du poète classique, mais les éditeurs eux, sont plus que jamais décidés à dépoussiérer le secteur !


I / La poésie, un secteur de niche ?


La poésie n’est pas le rayon le plus important d’une librairie ni le plus vendeur pour les éditeurs. Elle représente avec le théâtre entre 0.2 et 0.4% du marché éditorial français. Ce qui est évidemment très peu, surtout quand on prend en compte que les plus grosses ventes en poésie sont bien souvent les éditions scolaires demandées par les professeurs.
Cependant, dans ce petit marché qu’est la poésie, on constate une constante augmentation des ventes ce qui pousse de plus en plus les acteurs du marché du livre à prendre en compte la poésie dans les rapports annuels des ventes.
Le Syndicat National de l'Edition devrait d’ailleurs, d'ici 2024, opérer un changement de catégorie en distinguant le théâtre de la poésie.
Initié par Alexandre Bord, co-directeur de la collection "L'Iconopop", le projet vise à obtenir des données précises sur les ventes de poésie. "En deux ans d'existence, nous avons vendu 60 000 exemplaires pour 14 titres publiés, c'est très significatif en poésie ! Tout le monde dit que les chiffres sont en hausse mais ce n'est visible nulle part, Certains des principaux éditeurs de poésie ne faisaient pas remonter leurs chiffres. Nous pourrions avoir une courbe d'évolution à partir de 2025 seulement. Si le constat de croissance qu'on fait de notre côté est chiffré, nous pourrons le communiquer auprès des institutions, peut-être débloquer de nouvelles aides, nous faire davantage exister médiatiquement"
Tout cela nous montre que la niche éditoriale qu’est la poésie évolue au fil des années et prend de plus en plus d’ampleur. De plus, ce genre littéraire est riche de nombreuses maisons d’édition petites et moyennes créées plus ou moins récemment et qui ont toutes à cœur de promouvoir la poésie contemporaine ainsi que le renouveau des fonds de ces rayons.
On peut notamment citer les éditions Cheyne spécialisées en édition de poésie contemporaine, créée en 1980 et redynamisée en 2017 lors du rachat par deux nouveaux co-gérants Benoît Reiss et Elsa Pallot.
Pour leur part, ils publient en moyenne une douzaine de livres par an avec des tirages qui sont en moyenne de 700 exemplaires par titres et avec des pics pouvant aller jusqu’à 3000 exemplaires pour leur collection “poèmes pour grandir”
A titre de comparaison, les éditions Bruno Doucey, créées en 2010, ont une moyenne de 20 livres publiés par an pour un tirage moyen à 1500 exemplaires mais avec des réimpressions pouvant monter jusqu’à 10 000 exemplaires pour leurs auteurs phares comme Hélène Dorion dont le recueil Mes forêts est inscrit au programme du bac français à partir de cette année.
Nous avons également les éditions Seghers reprises par Antoine Caro fin 2020 et qui a lui aussi constaté les changements qui s’opèrent sur le marché de la poésie « En cinq ans, le marché de la poésie est passé de 10 à 15 millions. On vit une période métaphysique, la poésie est un accès plus direct au monde dans lequel on vit », décrypte l'éditeur, notant le succès des poèmes sur les réseaux sociaux comme celui du Déversoir d’Arthur Teboul, très soutenu par les libraires et par une tournée de l’auteur-compositeur de Feu! Chatterton à travers la France.
« Notre slogan, c’est : “La poésie est partout” »


Ces quelques chiffres montrent le côté très disparate du marché de la poésie avec une saisonnalité très marquée par le fait que la poésie est assez peu mise en avant en dehors de la période du printemps des poètes.
Cependant, à la différence des autres genres littéraires dont la durée de vie des livres est relativement courte, on constate pour la poésie, un phénomène inverse avec des livres qui sont publiés et qui se vendent régulièrement longtemps après la date de parution. Par exemple, le recueil Je serai le feu édité par La ville brûle et paru le 08 octobre 2021 est encore présent sur les tables de libraires et se vend encore régulièrement. Pour la librairie Mollat, entre janvier 2023 et janvier 2024, nous avons vendu 89 exemplaires avec un pic des ventes en décembre. Pour un livre publié il y a déjà deux ans cela peut paraître exceptionnel cependant, force est de constater que ce livre n’est pas une exception dans le milieu éditorial de la poésie on pense notamment à Rupi Kaur, phénomène mondial, et figure de proue de cette nouvelle génération d’Instapoètes. Mais ces deux cas ne sont pas si exceptionnels, Cécile Coulon, pour son recueil Les ronces d’abord édité au Castor Astral le 16 mai 2018 puis republié au Castor Astral collection Poésie, Poche le 25 février 2021 et pour lequel elle a reçu le prix Apollinaire en 2018 s’est encore vendu à près de 167 exemplaires entre janvier 2023 et janvier 2024.
Tous ces exemples démontrent que la durée de vie du livre de poésie est bien différente et souvent supérieure à celle d’un roman de littérature générale.
Cependant, la présence de nombreux long sellers dans ce rayon ne l’empêche pas d'être touché par la surproduction éditoriale qui touche d’ailleurs tout le secteur du livre. Les nombreuses maisons d’édition préexistantes et celles qui se sont créées à partir des années 2010 entraînent une abondance de parution qui se traduit bien souvent par une mise en avant moindre sur les tables des libraires pour les petites maisons d’édition.

II/ Renouveau et émergence de nouvelles maisons d'édition

Comme nous avons pu le voir précédemment, ces dernières années ont été marquées par l’apparition de nouvelles maisons et collections de poésie. On constate de la part des éditeurs un désir d’une part de publier de nouveaux auteurs et donc de renouveler le catalogue poésie mais également une réédition des ouvrages de fond, bien souvent oubliés trop vite, qui s’offrent donc une seconde jeunesse lors de leur republication. C’est le choix qu’à fait Point poésie par exemple qui propose donc un catalogue où se mêlent recueils primo publiés et rééditions de grands noms de la poésie comme Cocteau ou encore Soyinka (premier auteur africain à recevoir, en 1986, le prix Nobel de littérature).


L’iconopop, collection de la maison d’édition l’iconoclaste, dirigée par Cécile Coulon et Alexandre Bord témoigne d’un regain d’intérêt des éditeurs pour la poésie mais surtout d’un désir de donner la parole à de nouveaux auteurs. A tel point que sur leurs réseaux sociaux, ils ont pris le parti de promouvoir la poésie au sens large c'est-à-dire qu’ils ne se contentent pas de faire la promotion de leur livres mais également des parution d’autres éditeurs poésie.
Ils publient une moyenne de 6 livres par an pour cette collection.
C’est une collection qui se veut percutante, engagée et inclusive.

L’une de leur dernière parution est Choses dites de Nancy Huston. Un recueil en édition bilingue, qui retrace l'histoire d’amour tumultueuse entre l’autrice et un auteur américain.

-Choses dites, Nancy Huston, L’Iconopop

Les éditions Bruno Doucey, créées en 2010, ont à leur compteur près de 230 titres parus. Cette maison d’édition se positionne comme un des nouveaux acteurs majeurs du marché de la poésie en France. Leur objectif ? “Porter la voix des poètes contemporains partout où elle peut se faire entendre, sur les scènes littéraires, mais également dans les écoles, les rues, les prisons, les jardins”
Ils ont au sein de leur maison 11 collections (uniquement de la poésie) pour le livre papier.
L’un de leur dernier recueil paru est Les âmes aux pieds nus de Maram al-Masri collection Autre langue. Il a d’abord été publié aux éditions le temps des cerises en 2009. Le livre est édité en version bilingue français-arabe
C’est un recueil très fort et engagé pour la lutte des violences faites aux femmes, chaque texte est inspiré par une histoire vraie, une femme réelle et rencontrée.

-Les âmes aux pieds nus, Maram al-Masri, éditions Bruno Doucey

Un bon exemple de renouveau du catalogue nous est donné par l’Arche éditeur, pour la collection poésie nommée “Des écrits pour la parole”. En effet, depuis quelques années, ils rééditent d’anciennes publications, notamment Des écrits pour la parole de Léonora Miano) (recueil qui a donné son nom à la collection) paru initialement en France en 2012 puis réédité en Août de l’an dernier. Ils ont également réédité les écrits d’Audre Lorde une poète afro américaine icône du mouvement féministe noir américain. Ses poèmes, bien que écrits et publiés en 1976 aux Etats Unis, traitent encore aujourd’hui de sujets d’actualité et résonnent encore très justement.

-Charbon, Audre Lorde, editions de l’Arche

Dans un autre registre, on constate que d’autres éditeurs se sont lancés dans l’édition de poésie comme Nathan qui a créé une collection Poéstrip, qui reprend des poèmes connus pour les adapter en roman graphique. La collection est née du constat que beaucoup de jeunes sont intimidés voire rebutés par la lecture, il a donc fallu créer des ponts pour les raccrocher à la poésie. Poéstrip est donc la solution proposée par Nathan pour réancrer la poésie au cœur des lectures des jeunes.
Le premier livre paru dans cette collection est La grande échappée écrit et illustré par Bérengère Delaporte, qui reprend le poème de Rainer Maria Rilke La panthère.

-Grande échappée, Bérangère Delaporte, Nathan BD

Ce poème est adapté en BD à travers l’histoire de Louise, une ado de 17 ans qui, comme sa mère, veut devenir danseuse. Cependant Vincent, son père s’y oppose et accuse Camille, la maman de Louise, de mettre des idées en tête à Louise. Il renvoie Camille à sa propre situation de danseuse « ratée » selon lui, de bonne à rien, de boulet financier. Au fil des jours, un véritable lynchage psychologique s’installe. Louise, témoin des abus de son père pousse sa mère à se questionner sur sa relation avec Vincent et un dialogue va s’installer entre ces deux femmes. Grâce à la révolte de Louise, Camille parviendra peut être à trouver le courage de faire face à son mari et d’encourager sa fille dans sa voie ?

Ce dernier exemple montre que le renouveau de la poésie ne dépend pas uniquement des éditeurs de poésie mais de tous les acteurs des métiers du livre, ce regain d’intérêt pour les œuvres poétiques au sens large, s’est également vu dès 2016 avec les romans écrits en vers libres. Ceux-ci peuvent effrayer de prime abord, pourtant ils se lisent très facilement et apportent une musicalité à la lecture. Ces romans en vers libres permettent de mettre un pied dans la poésie avec facilité au travers leur lecture. C’est Clémentine Beauvais qui popularise ce genre en France avec Songe à la douceur publié chez Sarbacane.
Une histoire d’amour magnifique inspirée des deux Eugène Onéguine de Pouchkine et de Tchaikovsky.

-Songe à la douceur, Clémentine Beauvais, Sarbacane


III / La poésie pour parler d’actualité

Aujourd’hui, la poésie est un excellent support pour parler d’actualité, en effet, on constate sur tous les médiums, l’augmentation de témoignages en tout genre et sur tous les sujets. Il est donc naturel que les auteurs s’emparent du genre poétique pour à leur tour parler de sujets d’actualité qui les touchent plus ou moins personnellement.
Dans son recueil Résistances poétiques aux éditions Acte Sud, tiré d'un spectacle donné en 2019, Cyril Dion nous explique très bien la nécessité de la poésie dans notre monde actuel :

Résistances poétiques, Cyril Dion, Acte Sud

Au cœur de ce marasme, la poésie est peut-être le seul art qui puisse énoncer l’ineffable, déjouer les concepts accolés aux mots, déployer des ruses et des enchantements, capables de nous donner accès à des réalités jusqu’ici inconnues.
[...]
Selon les standards d’un monde où tout doit se vendre et s’acheter, le plus vite et le plus longtemps possible, la poésie ne sert à rien. Pourtant elle n’a jamais été aussi nécessaire. L’art peut, doit, réveiller en nous les forces motrices, la peur et la colère, la douleur et l’émerveillement. L’émotion nous met en mouvement. Dans ces pages, nous avons tâché de réunir des poèmes, des musiques, des œuvres contemporaines qui, chacune à leur manière, tentent de secouer le monde.

De plus, on constate ces dernières années une belle mise en avant de la poésie féministe, les autrices mettent en vers leur révolte et leurs combats, on l’a vu précédement avec le recueil de Maram al-Masri qui traitait des violences faites aux femmes. Globalement, les poétesses, dans le sillon de Metoo, écrivent leur révolte et leurs luttes en tant que femmes mais aussi en tant qu’observatrices de notre société.
Le recueil de Stéphanie Vovor, Frénésies, publié par le Castor Astral s’inscrit tout à fait dans ce nouveau genre poétique, brut, désillusionné et percutant.

Frénésies, Stéphanie Vovor, Castor Astral

A mes soeurs

C’est pour les filles dont le trait d’eye-liner est mieux tracé que l’avenir,
Celles qui sont déjà ratées avant d’avoir mis un pied en grande section de maternelle,
Celles qui n’ont pas su rectifier le tir et ne prononceront jamais de grands discours lors d’une remise de diplômes comme quoi elles sont le pur produit de la méritocratie et bla-bla-bla,
C’est pour celles qui ont la flemme,
Les paresseuses du fond de la classe qu’on n’a pas envie de se coltiner parce qu’elles ralentissent le groupe,
Celles qui refusent de faire un stage de 80 heures / semaine car leur but dans la vie c’est pas "avoir une résidence secondaire et peut-être une autre après"
Celles qui ont mal et à qui on répond qu’elles se plaignent trop, qu’il serait bon d’arrêter de s’écouter,
Que "ça va bien se passer",
Celles qu’on interpelle dans la rue pour leur ordonner de sourire parce que c’est plus joli,
celles qui se disent souvent qu’un truc colle pas,
Qu’elles sont éveillées au sein d’un rêve qui n’est pas le leur,
Celles qui parfois son tout comme sidérées dans leurs têtes, ont le corps qui se fige, restent pétrifiées dans leur lit et murmurent des prières pour ne pas en arriver au point de s’uriner dessus,
Celles noyées émotionnellement,
Celles chez qui la peur a tout inondé, au point qu’elles ne se sentent plus capables de penser, encore moins d’écrire,
Celles qui déconnent à bloc,
Celles qu’on traite de candidates au viol dans la rue,
Celles qui ont la cervelle rongée de haine,
Celles qui matent des films d’épouvante chaque soir pour tenter d’oublier que le plus souvent l’horreur est à l’intérieur de la maison,
Celles qui ne peuvent pas affronter le monde sans cachetons,
Toutes celles qui sont un brasier


Le texte brut, dépouillé de toutes fioritures mais toujours très rythmé est la marque de ces nouveaux auteurs, la poésie d’aujourd’hui c’est le cri de révolte de la génération Y.

Sophie Carquain, qui a elle aussi choisi de raconter le féminisme en poèmes, nous parle, dans son recueil Soutif mon amour publié aux éditions la joie de lire, du mal être des femmes de sa génération et des combats qu’elles mènent au quotidien. Ce sont des poèmes engagés, qui traitent des luttes de l’autrice qui pointent du doigt toutes les aspérités de notre monde. Mais ce sont des poèmes nécessaires, qui permettent de mettre des mots sur les maux de notre société.
Ce recueil est divisé en sept chapitres qui traitent chacuns d’une thématique de lutte féministe.


Soutif mon amour, Sophie Carquain, La joie de lire

Une autre autrice, dans un style plus doux, plus contemplatif mais toujours dans la lignée de Rupi Kaur, avec des poèmes d’abord publiés sur Instagram, nous offre une recueil édité chez Sterenn,
qui mélange poèmes et calligrammes et qui nous parle de la place des femmes.

Tant qu’il restera des corps à étreindre, Floriane Joseph, Sterenn

Au delà des luttes féministes, les poétesses se sont emparé de leurs plumes pour traiter de bien d’autres sujets. Chez l’iconopop, Patricia Houéfa Grange nous parle dans son recueil Métisse, et alors ? de la difficulté d'être une enfant issue du métissage, de son enquête sur ses origines.

Métisse, et alors ?, Patricia Houéfa Grange, L’Iconopop

Au-delà d’être un support pour débattre de sujets de société, le recueil peut aussi traiter de sujets d’actualité, c’est le cas du recueil L’invisible est lumineux de Maria Galina une autrice russe et publié chez Agullo. La particularité de ce recueil est qu’il a été achevé d’être écrit la veille du conflit russo-ukrainien.
C’est un recueil qui mêle imaginaire et description des paysages ukrainiens (car l’autrice vit en Ukraine) mais on ressent tout le long de la lecture la menace de la guerre.


L’invisible est lumineux, Maria Galina, Agullo

Tous ces poètes donnent une voix aux combats et désillusions de leur génération, les poèmes se font de plus en plus engagés et ne sont plus seulement l’expression du “beau” mais également des manifestes engagés dans les différentes luttes contemporaines.

Tout cela pose les bases de la nouvelle poésie contemporaine. Mais comment expliquer la popularité grandissante des ces auteurs auprès du jeune public à l’image de Rupi Kaur, icône du genre et tête de file de ces nouveaux poètes ?


IV/ Les nouveaux supports de la poésie


Le succès grandissant des poètes auprès du grand public s'explique par le fait que la poésie s’est transposée sur de nouveaux supports.
En effet, aujourd’hui, les poètes, avant de chercher à publier leurs textes, vont d’abord les publier sur les réseaux sociaux. Pour cela Instagram est devenu le réseau social de prédilection des ces auteurs avec les # instapoètes, instapoésie.
C’est le cas du recueil Les ronces de Cécile Coulon publié en 2018 par le Castor Astral. Cécile a d’abord publié ses poèmes sur les réseaux sociaux avant qu’ils soient édités sur papier.
Aujourd’hui la nouvelle génération se débarrasse du snobisme de la poésie et la rend accessible à tous. La poésie se décline en post insta, en slam, en rap ou encore en musique. D’ailleurs, de plus en plus d’éditeurs proposent une playlist pour accompagner la lecture d'œuvres, c’est le cas pour le roman graphique présenté plus tôt La grande échappée où on à un QR code à scanner pour accéder à une sélection de titres pour accompagner sa lecture.

Le recueil Résistances poétiques de Cyril Dion, est tiré d'un spectacle donné en 2019, ces quinze poèmes mis en musique évoquent le pouvoir des mots et la force de la résistance poétique. Les textes sont accompagnés d'œuvres de street art. Un QR code donne accès à la version audio. Ce livre est un parfait exemple de ce vers quoi tend la poésie aujourd’hui, pluridisciplinaire, musicale et définitivement tournée vers le public.
Tous les éditeurs le disent, aujourd’hui la poésie se vit en dehors des librairies, en dehors des livres, la poésie se dit en spectacle, en scène ouverte.
Les événements culturels liés à la poésie ne manquent pas, en dehors du Printemps des poètes qui fête ses 25 ans cette année (9 au 25 mars), de plus en plus de lectures publiques sont organisées, des collectifs également mettent en voix la poésie, je pense notamment au Serveur Vocal Poétique qui multiplie les actions ils ont par exemple, pour la nuit de la lecture, en partenariat avec la RATP et la Comédie Française, diffusé des poèmes dans le métro parisien. C’est également ce collectif qui avec la Compagnie Home théâtre lance chaque année le SVP le serveur vocal que l’on peut appeler pour écouter un poème.

Toutes ces actions rendent la poésie de plus en plus accessible et actuelle. Le terme “Poésie” n’est plus synonyme d’idéal inaccessible mais de performance artistique et de renouveau.


V/ Les nouvelles voix de la poésie et les lecteurs

Si l’image du poète en tant qu’homme de lettres classique tend à se transformer, on peut se demander qui est auteur de poésie aujourd’hui ?
Les auteurs aujourd’hui sont bien souvent pluridisciplinaires, et sont souvent issus d’autres milieux artistiques, des performeurs, plasticiens, comédiens mais encore chanteurs.
C’est le cas d’Arthur Teboul, chanteur du groupe Feu ! Chatterton qui a publié en mars 2023 chez Seghers son premier recueil de poèmes : Le déversoir : poèmes minutes. Ce premier recueil aura même droit à une suite à paraître fin mars prochain ainsi qu’une sortie en poche prévue également fin mars.
Côté américain, c’est la chanteuse Lana Del Rey qui publie son premier recueil édité en France par Seuil et traduit par Cécile Coulon et Aurore Vincenti. Le livre, en plus des poèmes, est agrémenté de photos prises par Lana Del Rey, ainsi que de notes en lettres manuscrites ajoutées par l’artiste lors de son processus d’écriture.

Violette sur l’herbe à la renverse, Lana Del Rey, Seuil

Du fait de la popularisation de la poésie, de plus en plus de personnes se mettent à en écrire, ce qui permet grâce aux réseaux sociaux d’offrir une meilleure visibilité aux textes écrits par des auteurs en herbe qui ne sont pas issus du milieu littéraire. Les éditeurs se servent d’ailleurs des réseaux sociaux pour repérer les nouvelles plumes prometteuses. C’est notamment le cas de l’Iconopop, qui utilise beaucoup les réseaux sociaux pour repérer les nouveaux auteurs.


extrait d’interview de Coulon récupéré sur Actualitté :

À quoi carbure la poésie d’aujourd’hui ? Quels sont les flux qui l’animent ?
Elle carbure à ce qui fait sens, ce qui violente, réveille et secoue. À l’urgence de dire, de montrer aussi, de mettre des mots très simples sur des émotions qu’on croit être seul à ressentir, à endurer, alors que c’est pareil pour toutes et tous. Elle carbure à ce qui rassemble dans ce qu’on croit indicible. La plus belle phrase entendue après lecture d’un poème, c’est tout de même « Comment cette personne peut-elle si bien décrire ce que je ressens en si peu de mots ? » et cela, c’est notre envie. Entendre cette phrase et la faire entendre !


Où la collection L’Iconopop est-elle allée dénicher ces paroles émancipées ?
Sur les réseaux sociaux, dans les salles de concert et de spectacle, dans les studios d’enregistrement. Là où le langage sort du support « livre » et s’ébroue, en musique, en slam, en « posts », en messages.
C’est le cas de l’autrice Pauline Bilisari, qui a d’abord publié un premier recueil de poèmes en ligne, puis, l’a auto-édité à 19 ans. Suite à cela elle se fait repérer par les maisons d’édition et son premier recueil a été édité chez Frison Roche belles lettres. Son second recueil sort en 2023 chez Robert Laffont.

Ma maison en fleurs, Pauline Bilisari, Robert Laffont


VI/ Conclusion

Le marché de la poésie se porte de mieux en mieux, il ne cesse de prendre de l’ampleur et de beaux textes sont encore à paraître.
Ce regain d’intérêt a permis non seulement de renouveler le fond mais également de faire émerger de nouveaux auteurs prometteurs. L’actualité, toujours plus anxiogène, nous pousse à nous réfugier dans le beau et l’imaginaire ce qui peut en partie expliquer pourquoi les lecteurs sont autant attirés par ce genre. Le lectorat de poésie change également grâce aux réseaux sociaux, on découvre l’auteur via sa page instagram et on se rend en librairie déjà conquis par l'œuvre.
Les poètes d’instagram sont souvent critiqués car leur prose est jugée trop simple et trop dépouillée mais je pense que comme à chaque fois qu’un nouveau genre émerge, il faudra un peu de temps avant qu’il soit reconnu à sa juste valeur.


Pour finir, j’aimerai vous présenter quelques oeuvres dont je n’ai pas eu l’occasion de parler durant cette présentation :


Poèmes et dessins de la fille née sans mère, Francis Picabia, Allia
Francis Picabia, artiste peintre du XXème siècle. Recueil initialement publié en 1918. Réédité le 5 janv 24
21 dessins et 58 poèmes

Coeurs, comme livres d’amour, Hélène Dorion, Bruno Doucey


Debout dans les fleurs sales, Thomas Vinau, Castor Astral
poésie de la vie quotidienne, pas mal pour se lancer dans la poésie

Vous êtes de moins en moins réels, Laura Vazquez, Points (Goncourt poésie 2023)
Laura Vazquez propose à travers cette anthologie une sélection de poèmes, dont certains inédits, publiés entre 2014 et 2021

On a peur mais ça va, Andrea Thominot, Cheyne
prix de la vocation poésie

Je te dirai Novembre, Stenka Morris, Ed du Passavant
coup de coeur des libraires poésie 2023, Je te dirai novembre se lit comme un seul et long poème.

Voici les titres :