Publié le 05/10/2022
Comment Internet affecte-t-il nos rapports amoureux ?
D’un côté : l’apogée d’Internet et des réseaux sociaux, le succès des applications de rencontre et de la pornographie. De l’autre : l’explosion des divorces, l’essor du célibat (subi ou choisi), le repli sur soi, une forme de guerre des sexes. Faut-il voir un paradoxal lien de causalité entre ces deux réalités-là ?
Pour nombre de penseurs contemporains, cela ne fait aucun doute. Les nouvelles technologies ont transformé le célibataire en quête d’amour en consommateur chroniquement insatisfait en même temps qu’ils ont remplacé l’espace flou de la rencontre en un supermarché de l’amour à ciel ouvert. Face au vertige du choix amoureux, l’être désirant vit alors le désarroi contemporain : ce que Judith Duportail nomme la dating fatigue. Quand il y a trop de choix, le choix devient impossible - ou jamais arrêté. Face à la moindre contrariété, le consommateur annule simplement sa décision et retourne au supermarché. Pour trouver l’amour, chacun est sommé de se mettre en scène virtuellement, de faire sa propre publicité d’objet désirable. Certains parlent de néo-consumérisme amoureux, d’autres de marchandisation de l’intime et de la rencontre, Clouscard pointait du doigt, dans les années 80, un capitalisme de la séduction, dans une formule qui prend tout son sens aujourd’hui.
Pourtant, le besoin d’amour est universel et l’idéal romantique continue de faire recette. Là est tout le paradoxe des existences contemporaines : la recherche de l’être aimé - c’est à dire l’autre pour la vie - se fait via des outils qui encouragent l’éphèmère, le liquide. À ce sujet et à juste titre, Serge Chaumier oppose le désir de fusion encouragé par les idéaux amoureux à l’exigence d’indépendance et au refus des contraintes caractéristiques de l’homme moderne.
Est-ce un si grand mal ? Cet espèce d’accaparement d’Éros par les géants de la tech constitue, pour sûr, une révolution amoureuse. Couplé à la déconstruction du couple entamée par l’émancipation féministe, cette révolution peut-elle être salutaire ? Est-il possible que le couple contemporain traverse actuellement une crise de laquelle il sortira renforcé ? La fabrique de rapports nouveaux, centrés sur les besoins individuels et le respect de l'autre, hors des normes et injonctions sociales, est, en tout cas, un idéal affiché. Alors, est-il encore trop tôt pour déclarer : ci-gît l’amour ?
« Et quand personne ne te réveille le matin. Et quand personne ne t’attend le soir. Quand tu peux faire ce que tu veux. Comment appelles-tu cela ? Liberté ou solitude ? » — Charles Bukowski